Dak’Art
(Photo crédit Valérie Roger)
L’ouverture des cérémonies a lieu dans l’ancien Palais de justice de la capitale sénégalaise. On y découvre l’exposition internationale « Réenchantement ».
«Je savais que c’était un challenge. J’ai obtenu cet espace, la Cour de justice, qui était une condition sine qua non. Je voulais casser avec la routine et disposer d’un vrai espace contemporain. Ce lieu, qui était fermé depuis vingt ans, existe soudain dans toutes les têtes, au point que l’administration se pose la question d’en faire un musée d’art contemporain. C’est ici qu’avait eu lieu le volet “art contemporain” du premier Festival des arts nègres de 1966. » Simon Njami, commissaire de la 12e Biennale de Dakar, co-fondateur de la Revue Noire
L’ample architecture des années 50 et ses colonnades, la poésie du bâtiment désaffecté, offre un beau moment de circulation à travers les jeux d’ombres et de lumières. Si le thème de cette 12e biennale est ‘’Art africain contemporain et esthétique de la translation’, la phrase qui accueille le visiteur à l’entrée, « La cité dans le jour bleu », est empruntée à Léopold Sédar Senghor, extrait du poème ô Guélowar, écrit lors de son emprisonnement au camp d’Amiens en juin 1940.
Guélowâr !
Nous t’avons écouté, nous t’avons entendu avec les oreilles de notre coeur.
Lumineuse, ta voix a éclaté dans la nuit de notre prison
Comme celle du Seigneur de la brousse, et quel frisson a parcouru l’onde de notre échine courbe ! Nous sommes des petits d’oiseaux tombés du nid, des corps privés d’espoir et qui se fanent. Des fauves aux griffes rognées, des soldats désarmés, des hommes nus. Et nous voilà tout gourds et gauches comme des aveugles sans mains.
Les plus purs d’entre nous sont morts : ils n’ont pu avaler le pain de honte.
Et nous voilà pris dans les rets, livrés à la barbarie des civilisés
Exterminés comme des phacochères. Gloire aux tanks et gloire aux avions !
Nous avons cherché un appui, qui croulait comme le sable des dunes
Des chefs, et ils étaient absents, des compagnons, ils ne nous reconnaissaient plus
Et nous ne reconnaissions plus la France. Dans la nuit nous avons crié notre détresse. Pas une voix n’a répondu.
Les princes de l’Église se sont tus, les hommes d’État ont clamé la magnanimité des hyènes« Il s’agit bien du nègre ! il s’agit bien de l’homme ! non ! quand il s’agit de l’Europe. » Guélowâr ! Ta voix nous dit l’honneur l’espoir et le combat, et ses ailes s’agitent dans notre poitrine. Ta voix nous dit la République, que nous dresserons la Cité dans le jour bleu, Dans l’égalité des peuples fraternels. Et nous nous répondrons : « Présents, ô Guélowâr ! » Léopold Sédar Senghor
Sous l’égide du cri d’espoir du poète, une soixantaine d’artistes ont déployé leurs oeuvres sur deux étages : installations, peintures, sculptures, et vidéo.
Une fois franchie l’entrée on est frappé par l’ installation de l’artiste nigérian Folakunle Oshun au fort l’impact visuel
Intitulée United Nations of Jollof, l’oeuvre présente 15 pots bleus disposés en rang, symbole de l’alignement politique des Etats membres d’ECOWA. Pour l’artiste les imaginaires Nations Unies de Jollof (allusion au riz du même nom préparé dans les fameux pots bleus) permettraient l’ union des Etats d’ Afrique de l’Ouest, libérés du joug des forces politiques extérieures…
Au delà, la suspension faite de sacs plastiques éclairés au néon, oeuvre de l’égyptien Nabil Boutros, vogue entre les piliers. Connu pour sa démarche critique, il ironise en titrant Un Rêve.
L’accent est donné. Oeuvres engagées pour la plupart.
Deux grandes installations au rez de chaussée, dont celle très remarquée de l’artiste Camerounais Bili Bidjocka, dans ce qui était la salle d’audience du Palais
L’artiste a recouvert le sol de terre, matériau dont il s’est aussi servi pour pocher les murs de mots qui résonnent tels que « Révolution » ou encore « Ceci n’est pas mon corps, vous ne pouvez pas le consommer »… retournement de la parole christique ancrée dans la poussière africaine
Dans le même espace, Fabrice Monteiro (belgo-béninois) dénonce le faste des régimes dictatoriaux et la corruption des présidences africaines indétrônables avec l’oeuvre titrée « Ceci n’est pas un phoenix »
Le Sénégalais Henri Sagna, fait cohabiter de manière graphique les insignes des religions en un damier noir et blanc dans un souci pacificateur.
Les oeuvres du jeune français Alexis Peskine qui revendique ses origines multiples (parents franco-russe et afro-brésilien) interrogent la complexité des diasporas en utilisant installations et video de manière éloquente. Il utilise ici pour ces portraits-relief des alignements de clous plantés à répétition. Quant on l’interroge il évoque un rituel proche de l’exorcisme.
On aperçoit Ouattara Watts, l’ivoirien de New York, ami de Basquiat, présent comme un des pères de cette jeune génération. Ses tableaux n’ayant pu arrivés à temps, il a accroché une toile empruntée à un collectionneur au titre porteur de Dialogue (2016) et l’a entourée de sortes de calligraphies graffées, insufflant son énergie créatrice.
Autre ivoirien, le sculpteur Jems Koko Bi, présente une installation intitulée « Racines », place du Souvenir, sur la Corniche face à la mer.
Il a choisi de commémorer les victimes de la traite négrière. Des têtes, sculptées dans le bois, puis brûlées au noir, tombent les unes après les autres le long des trois pirogues érigées dans le sable, jusqu’à s’amonceler sur le sol…
Dans la salle du Manège de l’Institut Français, un hommage est rendu à la Revue Noire par Joel Andrianomearisoa, artiste d’origine malgache, sous le titre ’La Maison Sentimentale’. Plus de 130 encadrements retracent l’histoire de la Revue et font face aux collages aériens de papiers blancs… ‘installation, volontairement faite du contraste des deux « non couleurs ».
On retrouve les talentueux artistes de la scène malienne réunis au siège d’ Eiffage : la peinture du très prometteur Amadou Sanogo, aux compositions faites de larges pans vides, inaugure la série des « sans tête ».
Elie Théra magnifie la figure féminine au coeur d’une ronde humaine tandis que le maître Abdoulaye Konaté s’impose avec ses tableaux textiles
Les damiers graphiques des sièges du designer Cheik Diallo côtoient la vibration lumineuses des fresques d’ Abdou Ouologuem.
Le commissaire Sylvain Sankalé présente galerie Nationale des artistes sénégalais de la première génération : Amadou Sow, Souleymane Keita, Amadou Ba, Jacob Yacouba, Ibou Diouf, et Issa Samb dit Joe Ouakam, présent avec deux belles toiles des années 80 « Le mouvement des peuples », et « le Clown ». Au même moment dans sa cour, rue jules Ferry, c’est l’artiste d’un art total éphémère qui interpelle
On retrouvera certains des Anciens au départ de la chaloupe pour Gorée à la Véma galerie avec à leurs côtés le maître du sous verre, Lô Ba (Babacar Lo)
…Sur l’île de Gorée, rencontre avec Gabriel Kenzo Malou. Dans la solitude de l’ancien atelier de Moustapha Dimé surplombant la mer, il fait naître des séries de totems épurés
Pour le OFF, saluons « Stand Up » exposition initiée par trois centres d’art, le Centre d’art contemporain d’Essaouira, Bandjoun Station (Cameroun) et la Villa Gottfried (Ngaparou, route de M’bour, 70 km de Dakar), où se tient l’exposition, dans une architecture inspirée de celles de Tombouctou.
Les trois directeurs et artistes, Mostafa Romli pour le Maroc, Mansour Ciss Knanakassy, Sénégal et Barthélémy Toguo, Cameroun, s’associent pour montrer des oeuvres de leurs collections respectives. D’où, l’heureuse surprise de découvrir, après les kilomètres de chantiers de la route de M’bour, des oeuvres intimes de Kiki Smith (Allemagne) datées des années 50, provenant de la collection de Barthélémy Toguo. Beau retournement quand nous sommes tant habitués en Occident à voir les oeuvres du continent africain dans nos galeries et musées.
L’ accrochage nous fait passer de la puissance des dessins vaudou de Cyprien Tokoudagba (Bénin), aux conceptions foisonnantes du créateur de modèles en ébénisterie, Gabriel Tegnoto (Cameroun), ou encore à la fragile présence des gouaches de Dalila Alaoui…
De retour à Dakar, Barthélémy Toguo est interwievé par la philosophe Seloua Luste Boulbina au centre d’art « Raw Material ».
Une installation de l’artiste Satch Hoyt « Say it Loud », y accueille le visiteur. Composée de 500 livres emblématiques de la black diaspora, elle est surmontée d’un micro. On est invité à y chanter le refrain de James Brown « Say it loud, I’m (black) and I’m proud », le « black » ayant été soustrait pour permettre à tout un chacun de scander son propre refrain.
Barthélémy Toguo contera avec humour son parcours d’artiste, ses exils et apprentissages divers, avec à coeur les notions de passage mais surtout de partage (il emploie l’expression de « giving person »), quand la philosophe rappelera la lutte nécessaire contre l’indifférenciation tout autant que les périphéries (de citer Walter Benjamin ou Kamel Daoud et son roman Meursault, contre enquête)
…l’effervescence évènementielle continue à se jouer entre une scène qui tend à rejoindre les codes standards d’un art contemporain mondialisé, et la présence heureuse de ceux qui ont puisé suffisamment profondément pour atteindre l’universel sans se perdre sur le chemin, devenus de réels créateurs de « Voix » au sens employé par Malraux… La profusion des lieux d’exposition permettant de parcourir la ville et ses alentours ont donné à voir les émanations de tous ces possibles. Achile Mbembe : « C’est toujours autrui qui nous octroie notre pesant universel…c’est l’autre, le lointain qui m’octroie mon identité »